Texte : Rascal
Targassone : menaces d’accès restreint.
La Capelle : menaces de fermeture.
Chironico : embouteillages.
Hueco : reglementation sévère.
La liste est déjà longue, et se prolonge régulièrement. Chaque fois, on est dépités, on tape du pied, les forums voient fleurir les menaces envers les irrespectueux, et puis ça se calme, jusqu’à l’incident suivant.
Point de chiffres dans cette chronique, tout juste quelques réflexions personnelles, inspirées par ce cycle qui, sans être perpetuel (en tous cas, espérons-le !), semble tout de même bien récurrent.
C’était le bon temps…
Je me souviens des interviews des grimpeurs qui me faisaient réver, il y a 15 ans. On y parlait « mode de vie », « communion avec la nature », et toutes sortes de choses du domaine proprement spirituel (1) . J’en garde le souvenir de veritables démarches, parfois proches du mysticisme. Ah, l’époque des grimpeurs nudistes, clamant tout haut que la nature n’a nul besoin d’artifices à semelles gommées !
Un bloqueur toulousain en pleine avancée spirituelle.
Les démarches intérieures de chacun semblaient prioritaires sur la difficulté même, chose que j’ai trouvé résumées par Patrick Berhault dans le beau film de Gilles Chappaz . Je cite : « J’aime la performance pour ce qu’elle représente dans la démarche et le chemin de l’homme, pour les pensées, les efforts, les conceptions, l’adaptation qu’elle demande ». Un chemin intérieur, l’expression de la liaison forte de l’homme à son milieu naturel dont l’escalade serait l’expression, et non le fondement.
Ouais… et alors ?
Mais pourquoi je vous parle de tout ça, moi?.. Parce qu’il me semble que ces démarches, si elles n’ont pas aujourd’hui disparues, n’occupent plus le devant de la scène, et que l’aspect « grimpe » de cette faillite du spirituel observée dans de nombreux autres domaines, est fortement liée aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui pour le gestion de l’accès aux sites.
D’abord parce que cette dimension spirituelle que nous pratiquons tous, à notre niveau, nous replace dans notre rôle d’invité. Invité de la nature, de ces rochers sur lesquels nous ne faisons que passer, et qui serons là bien après nous (2), invité dans l’histoire de ces passages « historiques », créés par les maîtres passés auxquels ils nous lient. Invités encore des gens qui vivent ici, et qui sont justement ce lien entre l’homme et la nature locale.
Et un invité, en général, se comporte avec discretion et courtoisie, au risque d’être de ces pénibles qu’on supporte une fois, on se demande bien comment et pourquoi, en se disant que c’est bien la dernière.
Ensuite parce que quand la dimension spirituelle fait défaut, c’est dans l’ordre matériel que les effets se font sentir. On ne compte plus les théories sur les achats compulsifs compensateurs de vides affectifs, de même que, comme nous le rappellent les ruines de l’abbaye de Cluny, une église vidée de son sens n’est plus qu’un stock de pierre. Plus proche de nos préoccupations, Cresciano, mecque du bloc moderne pour certains, morceau de carriere voué à un broyage prochain pour d’autres. Si le spirituel était absent de notre monde, Delicate Arch ne serait qu’un bout de bloc grimpable comme les autres…
Dean Potter sur Delicate Arch – en avait-il le droit ? Les cameramen pouvaient-ils poser des cordes fixes ?
A l’inverse, là où le spirituel se maintient, le matériel est préservé. Plus personne ne visite aujourd’hui Lascaux, considéré comme un lien avec notre histoire commune (alors que bon, les barbouillis d’un demi-singe d’il y a 17000 ans, franchement…), et le Mont Kailash reste aujourd’hui préservé, parce que la tranquilité des Dieux vaut mieux qu’une première. Ce n’est pas pour rien que la taille de Karma et autres blocs celèbres il y a quelques années a plus ému que la taille du bloc de la vallée de l’Anguienne, en Charente profonde, et pourtant, matériellement, c’est du pareil au même…
Parfois juste une vibration…
Qu’en conclure ? Sur les domaines techniques et chiffrables, il est déjà souvent difficile d’avoir un avis formel, alors là, vous pensez bien qu’à part un TF1-esque « remettons du spirituel dans nos vies », j’aurais du mal à m’avancer ! Il reste que j’admire ces Bleausards anonymes qu’on croise parfois dans les coins reculés de la forêt. Ils étaient venus pour grimper, et finalement, la lumière et l’air avaient cette musique particulière qui a fait qu’ils sont juste restés assis une heure au milieu des arbres. Il reste que Sharma a cette aura particulière qui dépasse la simple difficulté technique de ses réalisations, et ils reste que mes souvenirs de Hueco sont surtout ceux d’un coucher de soleil, les doigts rèches et entouré d’amis silencieux au pied d’un dessin millénaire.
Pas obligé d’aller jusque là…
Je ne peux m’empêcher de vous recommander, brillants lecteurs, de même que je vous ai enjoints à chier propre et à pédaler joyeusement lors de vos escapades bloquesques, de goûter à leur juste et haute valeur les instants qui nous lient aux lieux souvent magiques de notre si belle activité. Prenez deux minutes pour écouter la forêt ou l’alpage en arrivant, écoutez votre coeur battre lorsque vous vous dressez au sommet du bloc, emplissez vous de ces instants et des lieux qui nous les offrent. Alors, je sais qu’ayant prêté l’oreille à tout ça, vous ne serez pas de ceux à qui s’adressent les points levés et les jurons vengeurs sur les forums.
Juste du caillou, après tout…
(1) Avant que tout le monde s’affole (surtout vous, là, au fond…), rappelons qu’est réputé « spirituel » quelque chose qui n’est pas de l’ordre « matériel ». Nul besoin de donner donc l’exclusivité du spirituel aux dogmes et religions…
(2) Il paraît à ce sujet que les tribus natives d’Amérique ont toujours été perplexes devant la coutume de l’homme blanc de « se transmettre la terre », alors que pour eux, ce sont plutôt les hommes qui passent… Je suis preneur de toutes infos éclairées sur ce sujet !!
Laisser un commentaire