Texte : Rascal
Jean-Pierre et Rascal ont fumé des chichons !!
Etant donné les réactions aussi diverses que variées que nous avons eues suite à la publication de notre essai prospectif « en 2031 », il me semble important de faire suivre juste derrière quelques chose d’un peu moins expérimental. Il est vrai que, vu de loin, l’expérience a pu ressembler à une réunion de jeunes boutonneux ayant découvert l’usage du chichon lors d’une soirée « Donjons & Dragons »… Peut-être cela va-t-il te sembler etonnant, brillant lecteur, mais c’en est assez éloigné (en tous cas, ça le voulait !).
Qu’est-ce qu’une prospective ?
Je me permets donc de re-préciser la démarche, et puis ça me donne l’occasion d’aborder de manière un peu plus fondamentale les sujets autour desquels on tourne, et on tournera encore longtemps (malheureusement…) dans cette chronique. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’avec ce projet « 25 chroniques en 25 ans », nous avons tenté, avec Jean-Pierre, autre chose que de la science-fiction. Il s’agit d’une prospective. Comme c’est un mot étrange, je mets la définition du dictionnaire : « qui concerne le futur tel qu’on peut l’imaginer à partir des données actuelles ».
Nous voilà bien avancés… Somme toute, il s’agit de regarder le monde d’aujourd’hui, et de voir ce qu’on peut en tirer pour demain, le plus délicat dans l’affaire étant le changement d’échelle. Car quand on parle « effet de serre », ou encore « pic de pétrole », on voit à peu près ce que ça veut dire à l’échelle mondiale. Mais quant à dire quelle forme cela prendra dans nos petites vies, il y a un pas. C’est donc en réalisant cet exercices sur quelques thèmes « phares » que j’ai abouti au petit texte que vous avez pu lire, une sorte de vision un peu romancée des quelques points qui suivent. Voilà pour la démarche.
A quoi ça sert, une prospective ?
Quant à l’objectif de la chose, il est assez simple. Jean-Pierre de son côté, moi du mien, en nous basant sur les éléments et tendances visibles aujourd’hui, estimons un résultat auquel on peut s’attendre dans 25 ans en ce qui concerne nos petites vies. Extrapolation personnelle, donc… Mais ce qui est interessant, c’est la suite que l’on donne. Ce résultat nous plait ? Alors allons-y, continuons à pousser gaiement dans le même sens ! Il ne nous plait pas ? A nous de prendre les mesures, à notre échelle, pour qu’au moins, dans 25 ans, nous puissions dire en toute sincérité à notre génération future à nous, pourquoi nous avons choisi ce chemin.
On est évidemment très loins d’avoir inventé le concept par nous-même ! Dans un monde normal, l’outil prospectif devrait être utilisé pour prendre beaucoup de décisions. Si on prend un exemple au hasard…les retraites, tiens. On observe le système actuel, la pyramide des âges, etc. On en conclue que, selon les éléments dont on dispose, si on poursuit comme ça, on a un problème. Normalement, on utilise cette conclusion pour mettre en place des mesures… Pas plus compliqué que ça.
Alors, même si chacun des quatre points qui suivent mérite des piles entières de livres, et que des tas de gens sérieux travaillent très bien dessus, je m’en vais vous les décrire rapidement, en vous laissant méditer ces propos de J.F. Revel dans Le moine et le Philosophe
Bien que les conséquences nuisibles de la pollution, de l’extermination des espèces animales, de la destruction des forêts et des sites naturels soient incontestables et, dans la plupart des cas, incontestés, la mojorité des individus ne réagit pas tant que la situation ne lui devient pas personnellement intolérable. Des mesures sérieuses pour contrecarrer la diminution de la couche d’ozone ne seront probablement mises en vigueur que lorsqu’il ne sera plus possible au citoyen moyen de prendre des bains de soleil (…) Ces effets étaient prévisibles depuis lontemps, mais ils n’avaient pas encore représenté un danger immédiat pour le confort égoïste de chacun.
L’augmentation de l’effet de serre.
Vous en avez sûrement déjà entendu parler, même ceux qui regardent TF1, mais je vous fais un rappel simple : certains gazs présents dans l’atmosphère depuis des siècles, piègent une partie du rayonnement infra-rouge, ce qui permet de maintenir une température permettant l’usage du bikini. Tout cela tournait était plutôt équilibré, et ressemblait environ à ça :
Sans effet de serre, on se les gèlerait ! (extrait du rapport à GIEC / GRID)
Source Hespul
Pendant longtemps, les taux de gazs à effet de serre étaient stables. Mais voilà, les activités humaines, grosso-modo depuis la Révolution Industrielle, ont libéré (et continuent allègrement à le faire) de généreuses quantités de divers gazs sympathiques nommés CO2, CH4 (méthane), CFC (les mêmes que pour le trou dans l’ozone !), etc… augmentant ainsi l’effet de serre, donc la quantité de rayonnement piégé, et donc la température.
On n’avait pas vu ça depuis 400 000 ans (au moins…) (extrait du rapport 2001 du GIEC)
Source Hespul
Il y a 20 ans, on se demandaient encore si c’était réel. Aujourd’hui, la question est plutôt de savoir à combien on va s’arrêter, et il y en a, du monde, pour se le demander : à l’échelle internationale (le GIEC), à l’échelle nationale (la Mission Interministerielle sur l’Effet de Serre), plus un paquet d’associations et d’agences (dont l’ADEME).
On est aujourd’hui à peu près d’accord pour dire qu’on ne pourra pas avoir moins de 2°C d’échauffement à échéance 2100. Et puis ça varie suivant les scénarios, de 2° à 6°C, selon les hypothèses que l’on prend. Voici un échantillon de quelques scénarii prospectifs officiels :
Différents scénarii de réchauffement (source Rapport du GIEC 2001) – aucun d’entre eux ne donne moins de 2°C
Source Hespul
Si vous voulez avoir une idée claire sur la chose, retenez ceci : une montée de 1°C, et le climat remonte de 180 km. 2°C, ça nous fait le climat des Calanques à Lyon. 5°C, ça nous fait Barcelone à Paris…
Nombre de jours de consécutifs sans pluie. A gauche la situation actuelle. A droite une simulation de scénario « tendanciel » (pas de régulation) en 2050 (merci au Réseau Action Climat)
L’autre idée à retenir est la suivante : à combien a-t-on droit, chacun d’entre nous, pour être « dans les clous » ? Là, c’est assez facile : l’étude des cycles en jeu, la connaissance des populations, etc. nous amène assez rapidement à un crédit de 4 tonnes de CO2 par personne et par an.
Si ça vous amuse, l’ADEME vous propose un petit calculateur sur son site.
Mais si vous avez la flemme, voici un ordre d’idée :
• si vous faites 10 000 km dans une petite voiture performante (150 gCO2 / km), vous avez déjà bouffé la moitié de votre crédit. Avec le reste, il faut encore vous nourrir, vous chauffer, vous habiller, etc…
• si vous faites un voyage de 10 000 km en avion, là encore, vous avez bouffé la moitié de votre crédit.
Vous voyez, c’est pas gagné… Malgré tout mon optimisme, je ne pense pas qu’on arrivera à tenir les scénarii les plus optimistes, c’est pourquoi j’ai introduit dans mon essai un réchauffement relativement conséquent, dans lequel seul les Quebecois font encore de la cascade de glace…
Restriction des déplacements.
La hausse du prix de l’essence, et du gaz avec, environ tout le monde en a entendu parlé. Peut-être même, si vous avez tendu l’oreille, avez-vous entendu « c’est structurel », jolie façon de dire « finie la rigolade ». Jusqu’à il y a pas si longtemps, on pouvait sereinement croire que du pétrole, il y en avait à tire-larigot jusqu’à la fin des temps. Sauf que non. Parce que la Terre est un système fini. On peut toujours mégoter pour savoir si les réserves (connues ? Espérées ? Potentielles ?) sont de 15 ou de 40 ans, ou même de 60 ans, ça ne déplace pas beaucoup le problème car dans tous les cas, ceux qui ont des enfants peuvent d’ores et déjà leur apprendre à faire du vélo. Et oui, car les transports, encore aujourd’hui, sont à 98% dépendants du pétrole…
Je vous mets ci-dessous un graphique tiré de l’excellent site www.manicore.com , de Jean-Marc Jancovici :
Comparaison des consommations cumulées, réserves prouvées, et réserves spéculatives en 1970 et 2000, en milliards de tonnes équivalent pétrole, et en supposant les réserves ultimes stables à 2500 milliards de barils, soit 360 milliards de tonnes équivalent pétrole.
Source www.manicore.com
bon, on le comprend bien, on a réussi à pomper en environ 50 ans une petite moitié du stock, et le nombre de voiture est loin d’être en décroissance. Et pour ceux qui accuseraient les chinois, je rappelle que eux, ils ont interdit sur leur territoire les véhicule faisant plus de 6 litres au 100 km…. Ca doit réduire la quantité de 4×4, comme mesure…
Avec tout ça, je me suis permis d’estimer qu’étant donné la raréfaction de la ressource ainsi que son énorme intérêt stratégique, on allait vers une politique de contrôle du type « rationnement », couplée à une forte réglementation sur les usages du pétrole, reservé aux activités essentielles. Cela peut vous paraître extrême, je le conçois…
Des tickets de rationnement, il y en avait chez nous il y a moins de 60 ans, alors que notre économie et notre vie dépendait beaucoup moins du pétrole qu’aujourd’hui… Tiens, l’Autriche vient d’interdire l’installation de chaudières au fioul au 01/01/06…
Vous comprenez bien que dans un monde comme ça, il va falloir trouver d’autre moyens pour aller tâter du caillou que vulgairement brûler du pétrole, de toutes façons hors de prix…
Je me suis aussi autorisé à admettre que des solutions collectives, de celles qu’on peut trouver en Suisse avec les bus des postes (on peut en bus aller faire de la cascade de glace au fond d’une vallée perdue du Valais), pourraient permettre d’atténuer la réduction de mobilité.
En général, on objecte à ce genre de raisonnement un magnifique « on va bien trouver quelque chose » : on se retrouve à parler d’hydrogène assez rapidement. Sauf que l’hydrogène, aucune plante n’en produit, il faut de l’énergie, en général electrique. On aurait bien le nucléaire, mais il y a quelques inconvénients, et les stocks sont également limités. On aurait bien aussi les bio-carburants… Sauf qu’il faut bien les planter quelque part, et on manque vite de place. Et on fait vite le tour du problème, et ca vire rapidement à la « foi » envers le scientifiques. Comme pour les réparations de prises.
Et comme pour les réparations de prises, on a le choix : ou on continue à faire n’importe quoi, et on prie très fort les saints ingénieurs qui vont trouver un truc, c’est sûr. Ou on pense qu’on aimerait bien regarder nos enfants dans les yeux, on branche ses neurones, et on prend la mesure des enjeux.
Réglementation de l’accès à la nature.
Autant les deux sujets précédents faisaient intervenir une bonne partie de physique, autant là, on touche à la politique environnementale et à la manière de gérer le patrimoine naturel. En la matière, le mieux est peut-être de voir ce qui a été fait chez les voisins. La démarche américaine est, à ce titre, relativement exemplaire, aussi parce qu’historiquement l’une des plus anciennes. En effet, nos amis etatsuniens ayant rapidement compris que leur patrimoine naturel était une richesse, ont rapidement mis en place le système des parcs nationaux, dont le but n’était autre que de trouver un équilibre entre une nécessaire préservation et une légitime accessibilité.
Tu payes, tu restes sur les chemins, tu campes là où on te dis, et ça se passera bien pour tout le monde.
On peut voir la fréquentation d’un parc de différentes manières. Ou bien on est enervé dès l’entrée par les gardes, le fait de devoir payer, le fait de rester sur les sentiers balisés, d’être contrôlé, encadré… On peut aussi se dire que le site est une richesse commune, que l’on peut exploiter dans la mesure de la maximisation du bien collectif, que l’on sait bien souvent éloignée de la maximisation des intérêts individuels. En bref, on appellerait ça par chez nous « pollueur-payeur » : tu fréquentes le site, tu le perturbes donc, et tu participes donc à son maintien.
Le système a été décliné à différentes échelles, et si vous allez grimper à Hueco ou a Rifle, vous paierez le forfait pour chaque jour d’utilisation du site.
On est en droit de penser que c’est moins bien que la responsabilisation des gens, l’éducation, etc. De même qu’on peut considérer que les conducteurs de quad sont tous suffisament éduqués pour ne pas sortir des limites du bon sens… De même qu’on peut considérer que l’éducation des conducteurs pourrait suffire à faire chuter la mortalité sur les routes… Il n’empêche que la collectivité, représentée par le legislateur, est en droit d’estimer que la réglementation est le moyen le plus efficace, et celui qui minimise les risques pour tous, afin de garantir le maintien des comportements dans les limites de l’acceptable.
On peut par ailleurs constater que des lois, des décrets et des arrêtés, on en ajoute, on en supprime rarement… Enfin, notre époque est ainsi faite qu’on cherche de plus en plus des responsables, même quand c’est « la faute à pas de chance », induisant du même coup une accumulation de normes, de standards, d’autorisations, laissant ainsi de moins en moins de place à l’interprétation.
C’est pour toutes ces raisons que j’ai introduit dans ma prospective un aspect réglementaire poussé (matériel, accès, etc.).
Retour à des productions locales et durables.
Nous en avons déjà parlé lors d’une précedente chronique fort discutée, l’économie mondialisée et le faible coût des transports ont fait qu’aujourd’hui, une part importante et grandissante de nos biens de consommations, parmis lesquels le matos de grimpe, vient de pays que les Echos appellent « à coûts maitrisés », c’est à dire l’Asie.
Vous avez pu constater que, si Jean-Pierre a supposé que les productions seraient déplacées (Inde, Afrique) du fait de l’augmentation du niveau de vie Chinois, j’ai pour ma part supposé que les hausses de coûts et les raréfactions de ressources primaires allaient induire un renouveau des productions locales, ainsi qu’une diminution de la culture du « c’est cassé, je jette ». Je me base en particulier pour cela sur la notion d’empreinte écologique. Cette méthode, utilisée par le WWF, permet de retranscrire toutes le consommation d’un humain en « surface de terre productive ». Connaissant les surfaces disponibles, on peut alors avancer des estimations comme « si tout le monde faisait comme moi, il faudrait 3 planètes ».
Extrait du rapport « Planête Vivante » du WWF France – 2002
Vous pouvez retenir deux choses :
• aujourd’hui, le français moyen consomme l’équivalent de 3,5 planètes, dont une part importante en transports.. Heureusement pour nous qu’il y a beaucoup de pauvres dans le monde qui nous laissent leur part, mais toujours est-il que tout cela va un peu trop vite. Entre autre, ces 2,5 planètes de plus, elle viennent de loin. Si on les supprime, il nous reste le local.
• nous avons dépassé l’équilibre (1 planète par habitant) dans les années 60 pour les français, et dans les années 80 au niveau mondial, ce qui nous donne une idée de ce à quoi ressemblerait un monde « soutenable ». demandez à vos parent et/ou grands-parents comment c’était, dans les années 60-70, et vous aurez une première approximation des comportements qui nous faudrait réapprendre si on voulait être durables : on réparait ou on jetait ? On prenait le vélo ou la voiture ? On allait chez Carrouf ou au marché ? On prenait l’avion tous les combien ?
C’est pour cela que j’ai introduit, dans ma prospective, une modification des comportements en faveur de comportements plus locaux.
Pour résumer
Evidemment, il reste dans tout cela une large part d’interprétation, il y a une place pour la sensibilité personnelle… Il n’empêche, les phénomènes globaux sont bien réels, la question est de savoir quelle place nous leur laissons dans nos vies, et dans quel sens nous poussons.
C’est pour cela aussi que nous souhaitons revenir tous les ans sur ce texte, car au fur et à mesure que nous avançons, la prospective à 25 ans devient partiellement retrospective, les changements à grande échelle peuvent apparaître, et avoir leur influence sur le local…
Finalement, la seule chose qui risque de ne pas changer, c’est quand on est au pied du caillou et qu’on veut grimper dessus. Pour le reste, autour, on est déjà moins sûrs…
Il y a peu, un ami avançait l’argument suivant : « tout cela, c’est bien joli, j’en suis bien conscient, mais si c’est si grave, j’attend des institutions que les réglementations soient modifiées. En attendant, je ne vois pas pourquoi je refuserais à mon gamin tous les avantages de la vie moderne ». Ca peut se défendre… on peut aussi poser le problème en d’autres termes : dans 25 ans, lorsque le gamin en question demandera quels choix nous avons fait pour le monde que nous lui laissons, aurons-nous la conscience tranquille sur nos choix personnels ?
Lorsque je croise une personne âgée, il m’arrive souvent de me demander quels ont été ses choix dans les années 30-40. Lorsque son voisin de pallier est revenu avec une étoile jaune, a-t-elle suivi sa conscience, ou la réglementation ? Pour beaucoup de gens d’alors, « on ne savait pas ». Nous, nous en savons au moins une partie, et elle n’est pas très drôle.
« Nous devons être le changement que nous voulons voir dans le monde ». C’est pas moi, c’est Gandhi qui l’a dit…
Pour aller plus loin.
Sur l’effet de serre :
« Quel temps ferons-nous » ed. Seuil , Jean Marc Jancovici, l’un des grands spécialistes français du sujet.
www.manicore.com le site du même
Le site du GIEC , émanation de l’ONU sur le sujet. Publie LE rapport de référence tous les 5 ans environs.
Le site de la Mission Interministérielle sur l’Effet de Serre
Le site du Réseau Action Climat
Sur l’energie
Le site du MINEFI : , vous y trouverez en particulier un fasicule de synthèse très bien fait.
Le site de l’ASPO : c’est l’association pour l’étude du Pic de Pétrole
le site des Negawatt : De vrais spécialistes qui font des prospectives plus que sérieuses pour notre survie.
« Si les vrais coûts m’étaient comptés » ed. Ecosociété, par Hortence Michaud-Lalanne. Une très belle comparaison entre l’energivoracité et la boulimie.
« Pétrole Apocalypse », ed. Fayard d’Yves Cochet. Quand un ancien ministre pose très clairement le problème.
Sur la consommation locale
Le site du WWF France : vous y trouverez aussi le rapport Planête Vivante.
Revue S!lence , disponible dans les points de dépôt, et un numéro gratuit à l’essai.
Réseau des AMAP , pour un exemple de réseaux locaux de consommation
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