Kevin Lopata est l’un des tous meilleurs bleausards du moment, avec des répètitions de blocs durs bien sûr (Satan Y Helvete ou Ubik Assis, tous les deux 8b), mais aussi des ouvertures marquantes dans le 8° degré (La Force du destin 8b+ ou Délire Onirique 8a+)…. C’est aussi un musicien professionnel!
Allons à sa rencontre… Vous pouvez aussi aller voir la vidéo de deux de ses derniers blocs…
Kevin dans le Fil de Damassé, 7c+
Zebloc : Qui es-tu? D’où viens-tu? Que fais-tu?
Kevin : J’ai eu 23 ans en octobre 2005. Je suis contrebassiste à l’Orchestre National de Lille depuis 2 ans et demi, et grimpeur dans mon temps libre depuis une dizaine d’années.
Zebloc : Il doit falloir de la peau pour la contrebasse! La grimpe à haut niveau et la musique sont-elles compatiblest?
Kevin : De la peau, il en faut, et pas qu’un peu pour jouer de la contrebasse. Et effectivement, après une séance d’escalade, quelle que soit sa durée, je ne peux pratiquer mon instrument. Mes paluches aux bouts rougissants me le font vite sentir. De plus, les doigts se fatiguent et ont besoin de repos après une séance. Je vais tout droit à la tendinite si je ne respecte pas quelques règles d’hygiène.
Par contre, je peux jouer autant que je veux avant une séance de grimpe. L’effort est très différent : en contrebasse, c’est l’agilité et la souplesse combinées à la tonicité et à la force de pression entre le pouce et les autres doigts.
En escalade c’est l’effort de résistance à l’ouverture de la main pour ne pas lacher la prise. Je m’apperçois avec le temps que l’un est bénéfique à l’autre et vice-versa. J’ai énormément de force dans les doigts en escalade et je crois savoir d’où çà vient. Et pour la contrebasse, mon appui des doigts me donne un son clair et une précision redoutable.
Enfin, l’engagement physique dans les duex disciplines relève d’un esprit commun, ainsi que la gestion du stress, ou bien l’écoute de ses sensations. Tout çà se fait naturellement.
Mais surtout, je ne mélange pas les deux! Quand je grimpe je grimpe et quand je travaille je travaille. Il faut tout simplement ne pas perdre le feeling.
Zebloc : Penses-tu que ta grande taille t’avantage systématiquement dans les blocs ?
Kevin : Il me semble qu’il n’y a pas plus de grands que de petits gabarits dans l’extrême niveau. Si les grands sont si avantagés, pourquoi les meilleurs mondiaux ne mesurent-ils pas tous 1m90? Suivant l’inclinaison du rocher, les uns et les autres sont plus ou moins avantagés : plus çà déverse, plus il faut gainer pour éviter les balands, et plus c’est dur si t’es grand. Un petit optimisera ses blocages et son dynamisme alors qu’un grand optimisera son griffé et son gainage.
Il faut développer ses points forts et faire avec ses points faibles : rien ne remplace un bon feeling.
Kevin dans Délire Onirique, 8a+
Zebloc : Comment t’entraînes-tu? Pratiques-tu d’autres sports?
Kevin : Je m’entraîne en grimpant, 2 séances par semaine, et 3 si je ne travaille pas. Jamais de musciu ni de pan Güllich, genre ramasse tes poulies à la petite cuillère! Je cours régulièrement pour la récup et le souffle. Je pratique aussi d’autres sports : le windsurf quand je descends dans le Sud et qu’il y a du vent, le ski (j’adore me mettre au taquet en hors-piste et envoyer des hélicos).
Zebloc : Quels sont les blocs qui t’ont le plus marqués?
Kevin : Les blocs qui m’ont marqué le plus sont en général ceux qui m’ont résisté longtemps : y avoir pensé parfois pendant des années sans forcément y croire au début et finir par les torcher rando… Car à Bleau, soit tu passes nickel et t’as l’impression que c’est du 2, soit tu rentres au bercail les mains vides. C’est vraiment l’investissement qui marque : tous les moyens physiques et intellectuels qu’on se donne pour y arriver sont parfois énormes.
Les 5 blocs au Rempart : Big Boss, Fourmis Rouges, Tristesse, Big Golden et Atrésie sont très représentatifs. Je me souviens, faisant mon premier 6a et 7a, être allé admirer ces blocs… et les essayer dans la foulée. C’était surréaliste pour moi : des blocs si hauts et si majeurs! Mon coeur battait à 200, même si j’avais du mal à décoller. J’ai très vite été à l’affût du moindre renseignement sur les méthodes, les gens qui les avaient enchaînés, les photos.. 3 ans et 30 séances après, ils sont tous tombés, presque d’un seul coup. Et là, çà y est, t’es dans le vif du sujet, pris dans l’engrenage.
Ensuite, plus tu acquiers de l’expérience, plus tu vas vite en besogne et les 30 séances se transforment en 3 jours et même parfois 3 essais.
Zebloc : As-tu encore beaucoup de projets à répéter ou à ouvrir?
Kevin : Des projets, j’en ai beaucoup, aussi bien en ouverture qu’en répétition. C’est pas çà qui manque et il y a encore une mutlitude de lignes majeures à découvrir.
Kevin dans la Force du Destin, 8b+
Zebloc : Et la compét?
Kevin : La compét, je commence à y penser, surtout depuis qu’on me pose souvent la question. Ce que je ne veux pas, c’est me blesser. Et quand je serai prêt dans ma tête à pouvoir gérer le non-contrôle relatif à la compét, pourquoi pas : dans le feu de l’action, si tu commences à avoir mal à un doigt, genre dans le 2° bloc de la super finale, tu crois que tu vas dire « bon les gars çà va pour aujourd’hui, j’ai un peu mal aux doigts, j’arrête »? Tu vas bien sûr aller jusqu’au bout au risque de te faire une poulie ou autre chose encore.
Mon métier me demande que je prenne soin de moi, c’est pour çà que j’évite les compéts pour l’instant. En plus, je ne suis pas vraiment passioné par la résine!
Zebloc : Que penses-tu de l’avenir de Bleau quand on voit la surfréquentation du site?
Kevin : L’avenir à Bleau est parfois très inquiétant. J’ai l’impression que la majorité des gens, grimpeurs ou promeneurs, sont dénués de toute sensibilité et ne font preuve d’aucun respect envers la nature. Il est impensable pour moi de retrouver canettes de bière, sacs plastiques et bien d’autres choses éparpillées un peu partout. Il en va de même pour le rocher : dans tous les sites fréquentés, beaucoup de prises sont dans un piteux état, elles ont perdu tout leur grain. On ne peut rien contre l’érosion mais on peut limiter les dégats.
Si tout le monde brossait les prises efficacement, et surtout avec de l’eau en fin de séance, la vie de la forêt serait beaucoup moins menacée.
Et c’est un problème qui touche la planète entière, qui ne se limite pas à l’escalade!
Kevin dans la Force du Destin, 8b+
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