Ce coup-ci, Kairn et ZeBloc vous proposent l’interview d’une figure historique de Bleau : Jo Montchaussé, un touche-à-tout : rien que dans le milieu du bloc, il est grimpeur, ouvreur, fondateur de la célèbre marque IBBZ, rédacteur de topos… Place à l’interview!
ZeBloc : Les présentations. Quel âge as-tu ? Tes étapes professionnelles et de grimpeur? Quand et comment as-tu commencé à grimper à Fontainebleau ?
Jo Montchaussé : J’ai 67 ans et j’ai commencé à grimper à 30 ans juste avant la naissance de mon premier fils Marc’O, la précocité étant d’une façon générale, une qualité peu développée chez moi.
C’est un collègue prof de math qui m’a fait découvrir l’escalade après avoir lourdement
insisté pendant des mois pour aller au Bas Cuvier. Cette séance provoqua un coup de foudre immédiat qui a transformé profondément la vie de notre famille.
ZeBloc : Et depuis ? toujours aussi assidu ? Avec qui grimpes-tu généralement ?
Jo Montchaussé : Difficile de quitter la joie d’être en forêt quand on habite à sa lisière. Seules plusieurs blessures m’ont tenu plusieurs fois, des mois, à l’écart des blocs.
Seul, ou avec femme et amis, sans prise de tête, mais jamais sans ma chienne.
ZeBloc : Tu es un des piliers de l’escalade à Bleau et tu as ouvert quelques problèmes très célèbres en forêt. Essaie de dresser ton CV ouverture (et éventuellement réalisations si tu y tiens) et reviens sur les ouvertures dont tu es le plus fier (en expliquant pourquoi et anecdotes à la clé si il y en a).
Jo Montchaussé : C’est une question qui me place dans une position d’ancien combattant. Je préfère utiliser un Joker avec les statistiques du site étranger 8a.nu. Parmi les 60 voies les plus appréciées à Bleau, on trouve dans l’ordre : Graviton, Toit du Cul de Chien, Aérodynamite, Égoïste,Biceps mou, Zen, Médaille en chocolat, Flippeur du Sabot, Hyperplomb, Achille Talon, certaines ouvertes avec la complicité d’Eddy Boucher, Jacky Godoffe ou mon fils Marc’O.
Pour l’anecdote, je me suis aussi beaucoup amusé avec Ludo Guérin, lors de l’ouverture
des Gros knee bars à la Roche aux Sabots ; nous bloquions sur des plats rebelles, et nous étions là avec le grimpeur américain John Sherman qui est l’auteur des topos d’Hueco Tanks et l’inventeur des cotations américaines en V (Vermin…). C’est John qui a trouvé l’astuce des coincements de genoux, on a fait immédiatement un lourd jeu de mots franco-anglais qui a déclenché, après explications, l’hilarité du trio, comme quoi le rire est sain…
ZeBloc : Quand actuellement on évoque le milieu bleausard des années 80/90, on entend souvent «avant c’était la foire d’empoigne avec toute cette bande de forts caractères» Raconte-nous brièvement cette folle période qui fut très faste dans le développement de la haute-difficulté. Quels souvenirs marquants en gardes-tu ?
Jo Montchaussé : Les années 80/90 appartiennent à la préhistoire, c’était une époque sans site Internet, sans smartphone, sans vidéo, sans crash pad et sans professionnels de l’escalade. Les jeux bleausards étaient sans enjeux de notoriété ou de marketing sportif, il n’y avait que peu de marques de chaussons ou de vêtements. La confrontation était furieuse, mais se faisait à la loyale sur les ouvertures dans une atmosphère assez tribale et déconnante, et la forêt était remplie de lignes magnifiques à découvrir…
ZeBloc : Ton fils Marc est aussi un grimpeur très actif à Bleau. Comment expliques-tu que tu lui ai autant transmis le virus ? Vous arrive-t-il de grimper en famille ?
Jo Montchaussé : Quand le terrain est propice, le virus se transmet avec une étonnante facilité, les petits-enfants sont déjà fortement contaminés. La grimpe en famille est toujours très naturelle, agréable et sans côté tribal. Nos enfants et petits-enfants ont toujours connu la forêt dès l’âge de 8 jours et rampé, grimpé avant de marcher.
ZeBloc : Tu es un des rares à porter intérêt et à t’investir dans le domaine des traversées.
Explique-nous ta motivation pour cette pratique.
Jo Montchaussé : Bloc pur, high ball, jeté ou traversée ne sont que des conventions qui permettent de s’exprimer, de se renouveler, de se distinguer des autres et celles-ci dans le temps, sont sensibles à la mode. J’ai tout essayé avec passion, mais le goût pour l’engagement et les jetés demande des qualités qui ne durent pas longtemps dans une carrière de grimpeur, mon tour est passé.
Le jeu des traversées peut sembler moins prestigieux, car la difficulté ne se concentre
pas sur 1 ou 2 mouvements extrêmes, mais sur un enchaînement d’une longue série de
mouvements difficiles. L’appréciation de la difficulté est finalement très subjective : Usain
Bolt ou David Rudisha, solo de batterie ou piano solo, adrénaline ou acide lactique ?
Et puis en traversée quand on a fait un aller, il est toujours possible d’envisager un retour,
alors à quand la désescalade ?
ZeBloc : Tu as fondé il y a quelques années la marque de crash-pads et de produits dérivés bloc IBZZ. Quelle est ta motivation à la base et dans quel esprit as-tu créé et développé cette marque ?
Jo Montchaussé : Difficile d’échapper à son destin, je suis né dans une famille où il était difficile de trouver quelqu’un d’inactif, sans un outil ou un instrument quelconque dans les mains, pour bricoler, réparer ou créer quelque chose. Mais la précocité n’est pas ma qualité première, je n’ai cousu mes premiers sacs que dans la quarantaine, avec l’apparition de la magnésie, et conçu les premiers matelas d’escalade que dans la cinquantaine.
Par ailleurs, j’ai un goût peu prononcé pour la confrontation ou la compétition, mais je
suis fasciné par les défis qui permettent de mieux se connaître, d’affirmer ses convictions et se réaliser. En 1995, quand j’ai dessiné les premiers crash pads, il m’était évident qu’il y avait un manque de matériel adapté à la pratique du bloc, et pourtant Bleau avait toujours été le lieu d’innovations majeures, comme les chaussons d’escalade, le pof, les circuits et les topos d’escalade. Fallait-il attendre des autres ce que je pouvais faire moi-même immédiatement, pourquoi ne pas ouvrir une nouvelle voie ?
Ma femme et moi étions prof d’économie et gestion, c’était un beau défi pour nous, faire
du bloc pouvait aussi nous mener à être au pied du mur ! i’Bbz était lancé.
Et puis il y a toujours des trucs nouveaux à trouver, récemment j’ai dessiné une perche
télescopique avec un porte brosse vissé, en aluminium anodisé, pour nettoyer les prises des blocs aux championnats du monde de Bercy.
ZeBloc : Pourquoi s’être aussi lancé dans l’édition de topo de bloc à Bleau au début ?
Jo Montchaussé : On m’a demandé en 1981 de participer à l’élaboration d’un topo sur
Bleau, « Fontainebleau, escalade et randonnée » à la suite d’une soirée très réussie de
plusieurs centaines de personnes, dans la salle des fêtes de Barbizon.
Il y avait là tous les passionnés de l’époque, Roland Truffaut y projeta « Les visiteurs du
samedi soir » où l’on apercevait son fils François. Avec Jacky Godoffe nous présentâmes
un diaporama sur Bleau qui eut beaucoup de succès. Cela a été le point de départ de notre collaboration avec les guides Arthaud.
ZeBloc : Pour toi, que doit-contenir un bon topo de bloc ?
Jo Montchaussé : L’auteur d’un bon topo est dans la même situation qu’un prof, quand le cours est bon on oublie qu’on est en cours…
ZeBloc : Dans cette nouvelle édition, il y a une sélection de secteurs. Comment avez-vous fait votre choix ?
Jo Montchaussé : Tout d’abord il faut bien insister sur le fait que cet ouvrage est une réédition. Ne pas faire de choix, c’est faire le choix de l’exhaustivité, ce qui demanderait des moyens humains et financiers difficiles à mobiliser. Le temps de réalisation d’une telle Bible, la rendrait perpétuellement obsolète…
Nous avons donc travaillé avec une contrainte de temps et de pages, en essayant de
conjuguer 2 objectifs contradictoires, décrire ce que les grimpeurs veulent mieux connaître et leur faire découvrir ce qu’ils ne soupçonnaient pas, des lieux très connus et des lieux moins connus.
ZeBloc : « Hors pistes » était plutôt élitiste, « Escalade à Fontainebleau » plutôt exhaustif, à qui s’adresse ce nouveau topo ?
Jo Montchaussé : Il a la même logique d’ensemble que celui de 1998 « Fontainebleau, les plus beaux sites et blocs ». Mais, en complémentarité de « Hors Pistes », c’est cette fois un topo de circuits, qui guide visuellement sur la totalité du massif de Fontainebleau, du Nord au Sud et de l’Est à l’ouest, d’une carte générale aux cartes décrivant chaque circuit, avec tous les accès routiers intermédiaires. Logique, clair et simple.
Quant au choix des circuits, le débutant, l’expert, le calme ou l’excité trouveront les
couleurs à leur goût, jaune, orange, bleu, rouge, blanc, ou noir redoutables. Les départs des circuits enfants sont aussi indiqués.
ZeBloc : Que trouve-t-on de nouveau dans la présentation ?
Jo Montchaussé : Dès le départ, tout a été conçu pour un grimpeur « mondial » lisant le français ou l’anglais, selon la version du guide.
Sur le fond, il est beaucoup plus pratique, tous les accès routiers et parkings sont
indiqués de façon détaillée, nul besoin de connaître la région de Fontainebleau pour se rendre sur un circuit précis.
Sur la forme, la maquette est nouvelle, elle intègre au mieux les tableaux de cotation
pour les rendre plus discrets. Cartes et cotations sont en vis à vis, nul besoin de tourner des pages.
Les cartes sont dessinées avec un parti pris d’esthétique et de précision. D’une part j’ai
défini un nuancier de couleurs douces évoquant les couleurs de la forêt, dans les tons bruns, vert ou gris, et d’autre part tous les plans ont été fait grâce à des relevés au GPS.
Et puis, il y a des conseils, des petites histoires, des réflexions sur notre pratique,
comme celle de Loïc Le Denmat sur l’exposition, et beaucoup de photos.
ZeBloc : Depuis quelques années Fontainebleau est devenue une véritable mecque avec la fréquentation qui va avec. Quel œil as-tu là-dessus en 2012 ?
Jo Montchaussé : La liberté de circulation à l’échelle du monde est une chose magnifique, et j’en profite pleinement . Comme la qualité de l’escalade à Fontainebleau est extraordinaire, il n’est pas étonnant que la forêt soit un aimant puissant pour tous les grimpeurs du monde. C’est une très bonne chose.
Cependant, certains pensent qu’il y a surfréquentation, je crois plutôt que nous devons
être plus volontaires dans la défense de notre culture et je suis particulièrement sensible à
tout ce qui rend notre activité durable. Personnellement, je passe toujours un certain temps à nettoyer méticuleusement mes chaussons, cela aide à la concentration et permet de bénéficier pleinement de la qualité des caoutchoucs modernes, mais il y a parfois des sourires narquois.
C’est aux bleausards, qu’ils soient locaux ou non, de transmettre leur expérience avec
conviction et aux visiteurs de l’accepter. Bleau n’est pas une salle de blocs à ciel ouvert, et
personne ne changera une prise abîmée ou nettoiera spontanément la magnésie.
ZeBloc : Qu’est ce qui fait la renommée et le côté attrayant de l’escalade ici plutôt qu’ailleurs pour toi ?
Jo Montchaussé : La notoriété de Bleau est due à un certain nombre d’ingrédients qui sont rarement réunis ailleurs, géographie, climat, environnement, et évidemment la qualité hors norme des rochers, souvent d’une hauteur raisonnable.
Le grès est source d’une incroyable variété de prises et de forme de blocs qui dépasse
l’imagination. et force au geste intelligent. Les méthodes sont généralement multiples, les
prises petites mais nombreuses, l’équilibre et l’adhérence y sont tout aussi déterminants que a force pure : un vrai terrain de jeu, quel que soit le niveau de difficulté.
ZeBloc : Le projet de parc national, une bonne chose pour toi ?
Jo Montchaussé : C’est une idée très séduisante, mais le massif forestier est déjà protégé par de nombreuses réglementations qui assurent sa protection et sa conservation. Au mieux, la liberté de grimper sera juste maintenue, au pire, les sites d’escalade deviendront des quasi réserves d’indiens, dans une gigantesque base de loisirs…
La meilleure conservation de notre terrain de jeu et de notre liberté de grimper, est
le développement de notre responsabilité individuelle et communautaire, dans le cadre légal existant.
ZeBloc : Dernièrement, quelques petites polémiques sont nées sur les départs ou sur l’usage de la magnésie. Ton avis là-dessus.
Jo Montchaussé : L’escalade de bloc est certainement l’activité sportive dotée du minimum de
conventions, la principale est de partir du sol pour arriver au sommet, simplissime ! L’usage d’un ou plusieurs matelas d’escalade est un détournement d’usage et un manque d’éthique.
L’utilisation de la magnésie a toujours généré un débat confus, il faut distinguer
l’objectif de ses conséquences. Tous les sports où la transpiration des mains est un handicap, conduisent à l’emploi de magnésie comme absorbant, gymnastique, lancer, saut à la perche, etc…Mais la magnésie ne fait pas coller, et il y a donc un mésusage dans son excès. Quand aux conséquences, un vrai grimpeur est aussi un bon nettoyeur, et les jours de pluie, rien n’empêche de nettoyer un surplomb !
ZeBloc : D’autres passions en dehors de la grimpe ?
Jo Montchaussé : Comme je passe beaucoup de temps devant mon écran d’ordinateur, j’ai un besoin irrépressible de nature et de sport. Le VTT, le ski de fond et le kayak de mer complètent l’escalade. Mais la photographie me passionne aussi…
ZeBloc : Ton (tes) secteur(s) de Bleau fétiche(s) ou préféré(s) ?
Jo Montchaussé : J’ai passé beaucoup de temps au Cuvier, Apremont et dans le Trois Pignons, selon l’humeur du moment.
ZeBloc : Des blocs incontournables ?
Jo Montchaussé : Les blocs incontournables deviennent rapidement des blocs cultes et patinés, alors je suis gêné et silencieux…
ZeBloc : Le mot de la fin, un truc à rajouter ?
Jo Montchaussé : A bientôt, sur les rochers !
christophe a écrit
bonne grimpe
François a écrit
On compte sur toi pour nous rapporter de beaux clichés de Jo…shua Tree
jpsg_92380 a écrit