Jérôme Meyer est avant tout connu pour sa redoutable efficacité en compéts de bloc : 2 coupes du monde remportées, 3 titres de champion de France, et un paquet de victoires glanées ici et là sur divers évènements internationaux… Mais Jérôme est aussi un fan d’extérieur, pour preuve sa participation dans le développement du site de Tralenta…. Allons faire plus ample connaissance…
Zebloc : Qui es-tu? D’où viens-tu? Que fais-tu? (comme çà c’est fait ;o))
Jérôme : Suis un jeune Savoyard pris de passion pour la montagne, enfin surtout à travers les activités qu’on peut y faire. Suis né en 1979 à Lons le Saunier (Jura) et j’ai débarqué à Chambéry vers 5 ans, à la faveur d’une mutation de mon père. Issu d’un milieu familial très porté sur les activités de montagne, je me suis retrouvé sur des skis à peu près au même age, sur des cailloux peu de temps après et globalement en montagne avant même de commencer à imprimer les souvenirs.
Dans la multitude de sports que l’on pratique avant l’adolescence, seule l’escalade m’a vraiment passionné. Je me suis inscrit au club de Chambéry en 1991 où j’ai pu profiter des murs artificiels pour progresser. La suite c’est quelques compétitions départementales, régionales qui m’ont menées jusqu’au circuit de coupe du monde.
Aujourd’hui j’ai 6 ans de coupe du monde derrière moi, quelques victoires et pas mal de plaisir. Je suis étudiant à l’E.M.Lyon ( anciennement Sup de Co Lyon) où je bénéficie d’aménagements. Ceci me permet de partager mon temps entre la grimpe et les choses plus sérieuses des études de commerce.
Zebloc : Que t’est-il arrivé à Firminy (ndlr : dernière étape de la coupe du monde 2005 où Jérôme est apparu fortement diminué)? Comment va ton doigt?
Jérôme : C’est marrant que tu poses cette question parce que j’ai à peu près tout lu et tout entendu sur ce qui m’est arrivé à cette compétition. Les fausses infos les plus courantes sont que je me suis blessé pendant les qualifs et que j’ai été disqualifié suite à mon shoot de sac à pof. Comme quoi pas mal de gens sont spécialistes du roman sans le savoir et doivent trouver ça plus facile que de demander à l’intéressé. Cela ne me concerne pas uniquement.
Bref, dans le vrai monde je me suis blessé exactement 11 jours avant la compétition en grimpant à la salle de chambéry. Il y a eu un beau claquement sur mon annulaire (en gros c’est celui qui est entre le majeur et le petit doigt). Si c’est une poulie elle n’est sûrement pas complètement morte parce qu’en 11 jours j’avais beaucoup moins mal et que je pouvais me servir du doigt pour la vie courante. A Firminy j’ai donc grimpé avec un strap énorme mais en gros cela revenait à grimper avec une main, et deux doigts de l’autre (index et majeur). Sur le 4ème bloc j’avais passé le pas dur et je me suis retrouvé sur une prise impossible à tenir avec le strap, si j’avais vraiment forcé je me serai terminé le doigt, car je sentais bien que cela me tirait pas mal. Je savais que je manquais ma finale sur ce bloc et du coup je me suis un peu énervé, et le sac à pof a tout pris.
Zebloc : On te connaît surtout au travers de tes résultats en compéts de bloc. Pourquoi cette activité te plait?
Jérôme : Il est clair que c’est ce point là qui m’assure aujourd’hui la légitimité de parler sur ton site, quelque part cela m’a toujours un peu gêné. Je ne peux pas dire que c’est la compétition qui me résume, pour moi c’est une des nombreuses manières de jouer à grimper. Ce qui me plaît dans cette activité, c’est la possibilité de se dépasser. Se dépasser en rocher c’est possible, mais ce n’est pas similaire en termes de plaisir. Quand tu grimpes sur du plastique tu le fais uniquement pour pousser au plus loin la difficulté, ou pour expérimenter. Le rocher c’est autre chose, c’est une ascension, qu’elle fasse trois mètres ou trois cent mètres. Au final la compétition c’est un environnement créé pour se dépasser, le fait qu’il y ait d’autres compétiteurs qui puissent te battre ajoute un peu de piquant. Il y a bien d’autres raisons moins importantes : logistiques, matérielles, fierté, amitiés, etc…car il faut bien un peu de tout pour pousser quelqu’un à tant d’effort.
Zebloc : Penses-tu qu’on pourrait améliorer le concept pour rendre plus populaires les compéts? Comment?
Jérôme : Je suis sûr qu’on pourrait faire mieux que ce qui existe. Avant tout il faut savoir que ce n’est pas facile de faire changer les mentalités, j’en sais quelque chose. En tant que représentant des athlètes à l’ICC (ndlr : International Council for Competition Climbing), je défends certaines orientations mais çà n’est pas toujours facile. La sphère privée est plus réceptive aux changements (culture d’entreprise oblige) mais plus versatile. Cela a mené à quelques belles réussites : Les contests type Freestone ou les « Freeclimb » que l’on a organisé avec Petzl sont l’exemple d’évènements populaires. Le dernier exemple en date, le Tout à bloc est un beau succès. Il me semble que c’est ce que l’on doit chercher à faire, mélanger les activités (contest, rassemblements, spectacles et concerts), rendre les qualifications accessibles à un maximum de monde et présenter les finales comme un spectacle.
D’un autre coté il faudrait de plus en plus de compétitions et pour ceci il faudrait trouver un moyen d’aider les organisations de bloc. En effet les compétitions de voies se font souvent sur des murs fixes et qui sont/seront amortis. Dans les compétitions de bloc il faut prévoir le mur et les services qui vont avec, cela pèse lourd dans un budget.
Zebloc : Serait-ce intéressant et faisable de les rapprocher de la pratique du bloc en extérieur?
Jérôme : Faisable oui, intéressant je ne sais pas. Je fais partie des gens qui dissocient les deux activités et je ne suis pas sûr de vouloir les confondre, car on y perdrait en richesse. Je suis favorable par contre à un rapprochement logistique, à faire cohabiter ces deux terrains de jeux sur un même évènement, et à pousser les jeunes aux performances extérieures comme aux performances sur plastique.
Zebloc : Penses-tu que le terme coupe du monde soit adapté lorsqu’on voit que si on enlève français et russes, il n’y a plus personne (surtout chez les filles)?
Jérôme : Ouais, si on supprime ces gens là je dois admettre que cela va sembler un peu vide, et pour faire pire si tu enlève tous les Européens, il y aura sûrement plus de monde a Tralenta que sur la compétition, autant te dire que cela ne dépasse pas la dizaine.
Il y a cependant des choses qui sont claires : l’escalade est très Européenne dans ses gènes (un peu américaine aussi) il est donc logique que cette prédominance s’exerce durant un temps. L’escalade de compétition reste assez jeune donc encore pas assez ouverte à tout le monde (au sens propre).
Ensuite ce que je peux te répondre c’est que cela relève pas mal de la fédé internationale. Que dans cette fédé internationale, où je suis en charge de la représentation des athlètes, j’ai travaillé sur certains projets pour permettre à des pays d’accéder aux compétitions internationales. Le nerf de cette guerre c’est le même que d’habitude: l’argent. On a donc lancé auprès des marques de l’escalade une collecte qui à permis en partie de se retrouver cette année à plus de 120 aux championnats du monde. Si des marques me lisent et souhaitent participer, contactez-moi (ndlr : écrivez à ZeBloc qui transmettra) . Donc ta remarque est plutôt vraie mais on y travaille.
Zebloc : A propos de grimper dehors, quels sont tes plus beaux blocs? Les plus beaux sites?
Jérôme : Mes plus beaux blocs sont un peu partout sur la planète. C’est sûr que j’en ai oublié, mais il y a eu des histoires particulières. Mandala à Bishop en est une, à l’époque il était encore auréolé d’un certain prestige et ce n’était pas du tout mon style. Ce bloc à pris une certaine claque après le roc trip de Bishop. Entre les nombreuses croix du week-end, Tony qui l’a fait debout flash, assis à une main et couché sans les pieds et un Japonais qui a cassé une prise, il a perdu de son lustre. Il y a plus récemment les blocs du Maroc, vierges, hauts, beaux, des prises de dingues et un cadre de malade. N’y allez surtout pas ! Forcément il y a ceux de Tralenta, « Démente évidence » avec ses mensurations qui font peur (7B+, 15m de haut, 4 pareurs internationaux et une terrasse construite exprès) ainsi que Four motion (en anglais) qu’on a finalement coté 8A après deux ans de travail a mi-temps. Les plus beaux sites jusqu’ici c’est Fontainebleau ( hé oui obligé !) Le spot du Maroc ou on est allé avec Tony, Arnaud, Isa et Stéphanie, mais il y a aussi celui de la maison : j’ai nommé Tralenta (Il faut quand même savoir que je suis forcément très peu objectif sur ce point là). Ce classement peu changer et j’espère toujours que le prochain sera le plus beau, d’ailleurs J’ai eu quelques infos sur le trip de Tony en Bolivie et il paraîtrait que ça casse des barres !!
Zebloc : Puisque tu parles de Tralenta , où en est le développement du site? Tout est ouvert ou reste-t’il de belles lignes?
Jérôme : Bonne question, qui tombe à pic car je pense qu’on a passé un stade sur le développement du site. En gros toutes les ouvertures faciles ou évidentes sont faites, grimpées et re grimpées. On est en train de passer a des blocs plus haut et/ou plus dur, des profils du genre de « démente évidence » qui font peur ou qui demandent beaucoup de travail. Le dernier projet dans lequel je me suis mis est peut être un poil difficile car je ne suis pas arrivé à faire deux des 8 mouvements que ça demande ! C’est tout du même genre mais souvent très beau. En ce qui concerne les lignes hautes c’est aggravé par le fait que l’atterrissage est généralement très mauvais : des trous ( on appelle ça des cannibales) des pointes, bref un chaos et encore une fois c’est souvent de la très belle escalade.
Zebloc : Puisque tu as fait pas mal de spots, que penses-tu des cotations? Est-ce vraiment important?
Jérôme : Non ça n’est pas important, c’est même plutôt chiant en ce moment. On est dans une période ou la cotation est érigée en tant que moyen de reconnaissance du même style qu’un titre en compétition. Il ne faut pas oublier comme me l’a fait reconnaître un jour une amie que « ce ne sont que des bouts de cailloux » et si on grimpe dessus c’est parce ce que cela nous éclate. Je peux concevoir que l’on fasse de la compétition pour le titre et pour la reconnaissance mais je ne le conçois pas pour la pratique extérieure. Ce genre de comportement est simplement une déviance, car au final c’est ce qui se passe aujourd’hui. On fait péter des cotations de fous sans tenir compte de la globalité. Il est vrai que c’est plus facile de dire « 8C bloc » que de préciser que « ça fait plus de 15 mouv et que tel et tel mouvements sont plus faciles pour les petits ou les plus grands et que c’est 8C mais que pour une certain type de grimpe ».
Je vais te donner un exemple, l’année dernière j’ai fais Chaos en départ debout à Bleau, il me semble que Julien Nadiras l’a coté 8A+ quand il l’a fait. De mon coté, avec pas mal de centimètres en plus je ne pense pas avoir fait plus de 7C, mais il est clair que Juju à fait une croix qui doit être de l’ordre du 8A+. Donc quand on rajoute à ce genre de différences un océan, une langue, et une culture on obtient des écarts qui peuvent être très grands et le sujet de discussion des longues soirées post session.
Zebloc : Serait-il intéressant d’uniformiser les systèmes de cotation?
Jérôme : Je suis pas sûr que cela change quelque chose, la solution serait qu’on soit tous équipés pareil, avec les doigts de Tonio et les caoutchouc à Chris. Plus sérieusement c’est aussi pour cela qu’on a inventé la compétition, pour pouvoir se comparer dans les meilleures conditions possibles. La vrai solution que je préconise serait en 1 d’accepter (de se souvenir plutôt) que les cotations sont indicatives. En 2 il faudrait donner en plus de la difficulté quelques infos objectives pour préciser le genre du passage. L’idée Tonio sur le « link » est dans ce sens : refléter vraiment ce que sont les blocs ou les voies. Mais attention car cela revient à reconnaître ses spécificités et pour certains esprits tordus à donc dévaloriser sa performance.
Zebloc : A propos de cotation, il semblerait que le système actuel de sponsoring, qui fait que l’on sponsorise des grimpeurs même s’ils ne font jamais de compéts et sont donc jugés sur des critères subjectifs, favorise la surcote, en bloc ou en falaise. T’as un avis là-dessus?
Jérôme : Ben voilà où je veux en venir, dès qu’il y à de l’argent en jeu il y à toujours un moment ou ça dérape. J’accepte qu’il y ait de la subjectivité dans un contrat de sponsoring, car cela relève d’individus avec un caractère et une image propre. Il faut donc choisir entre « j’aime bien ce mec et je le sponsorise » et « il est champion du monde alors je le sponsorise ». Donner des sous à chaque 8C nous mènera inévitablement aux abus, en plus quand un grimpeur est fort en rocher cela finit par se savoir. Il a juste à cocher quelques bloc mythiques et le petit milieu le reconnaît, c’est un jugement populaire mais il est à mon avis meilleur que de s’auto proclamer roi du 8c parce qu’on à fait tous ceux de son jardin. Je ne jette la pierre à personne, chacun essaye de vivre, mais un peu de responsabilité rendrait le haut niveau un peu plus beau pour ceux qui en rêvent.
Zebloc : Les sponsors jouent-ils leur rôle ou profitent t’ils trop de la naïveté des grimpeurs?
Jérôme : Bien évidemment les sponsors ont leur part de responsabilité, c’est eux qui proposent les contrats. Mais finalement si chacun était capable de faire valoir sa valeur sportive sans passer par une mauvaise liste de cotation, on aurai une activité plus saine.
Pour répondre vraiment à la question, globalement je trouve qu’ils jouent leur rôle, on est dans un milieu dont la maturité moyenne permet de faire encore avec des relations amicales et ils appliquent une gestion qui relève de ce critère. Tous ont leur mode de participation, La Sportiva est venue me voir après les premiers résultats en compétition alors que Petzl joue aujourd’hui le jeu des Roc Trip et autres Freeclimb, et d’une certaine manière c’est complémentaire.
Zebloc : Quels sont tes projets grimpe à court terme (extérieur et/ou compéts)?
Jérôme : A court terme je suis à calculer diverses possibilités de voyages. Je pense peu être retourner au Maroc, j’ai aussi une visite que je dois faire en Iran, une autre qui pourrait se faire au Pérou et pour finir je crois que la Bolivie me tente pas mal aussi, il faut que je voie les photos, mais si il y a du gaillard motivé ça peut venir.
Il faut aussi que je décide de mon implication dans les compétitions en 2006, parce que la fin de mes études approche et j’ai pas mal de taf sur ce plan.
Puis j’aimerai bien ce début d’hiver profiter un peu des sites Français, du genre Annot ou je ne suis pas allé depuis qu’ils ont ouvert les secteurs du haut.
Enfin ma préoccupation du moment concerne plus quelle paire de ski je vais bien pouvoir me mettre cette année.
Voilà, si tu me permets je remercierai bien quelques personnes : à savoir les gens qui m’ont entouré cette année et pendant la blessure, pour m’aider à digérer le fait que j’allais perdre cette coupe du monde. Je dois remercier les marques qui me soutiennent et avec qui j’ai toujours eu des relations d’amitiés, je pense que c’est important : Petzl, La sportiva, Freestone , Béal , Sun Valley qui me couvre de fringues pour ne pas que je prenne froid et Julbo qui protège mes petits yeux.
Le bonjour aussi à tous ceux qui vivent notre truc comme un plaisir, continuez et à un de ces quatre sur un caillou.
Si les gens on envie de réagir et de me dire quelque chose y pas de problème passe les messages, suis toujours prêt à discuter.
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