Texte : Rascal
La salle, c’est bien, Bleau, c’est mieux…
Déjà deux mois que, tel notre webmestre favori, vous sillonnez votre ville en vélo, faisant chaque semaine le bilan environnemental, financier, sanitaire et social (la voisine n’a pas encore noté le galbe de vos mollets ?) de l’opération. Bref, vous faites du « développement durable » au quotidien. C’est donc le teint frais et le cœur léger que nous pouvons aborder la deuxième étape : aller à Bleau !Parce que c’est bien joli, la salle, mais c’est comme lire des articles sur l’escalade, c’est quand même pas le cœur de l’activité (en tout cas pour les vieux comme moi). Et il nous faut bien admettre que, s’il n’est pas très compliqué de faire ses 10 Km quotidiens en milieu urbain, ça semble moins évident de mettre en place le même type de logistique pour aller taquiner le grès bleausard.
C’est sans compter sur tonton Rascal, qui ne va pas vous lâcher comme ça. Je vous propose donc une petite ballade pleine d’oxygène dans une des plus belles forêts de France.La sociologie selon Zebloc
Pour rester le plus concret possible, étudions deux cas, espérant couvrir ainsi un maximum d’entre nous :
– le « Parisien » : incluons dans cette catégorie celui qui a pour habitude de faire des séjours à la journée ou à la demi-journée, bref, qui n’habite « pas trop loin » (une unité pifométrique bien connue) de l’endroit.
– Le « Provincial » : mettons ici ceux qui doivent découcher pour aller goûter le mythique grès. Celui-ci campe, maîtrise le Formule1, a épluché la liste des gîtes, et remonte toujours du Reblochon à ses amis Parisiens afin d’entretenir les bons rapports garants d’un hébergement de qualité.
Il est évident qu’on frôle de très près la caricature, prix à payer pour que ce soit le plus clair et ludique possible. Mais je vous sais bien trop raffinés pour en prendre ombrage.A l’origine était le Parisien
Honneur à ceux qui, depuis les noires époques quasi-préhistoriques, ont su apprécier la forêt et ses trésors gréseux. Observons ensemble la méthode employée par un Parisien (appelons-le, Philémon) pour aller s’adonner à son loisir préféré, pour une journée par exemple.
De bon matin ce dimanche, Philémon a descendu son pad, ses Ninja et sa besace contenant un sandwich au camembert et un thermos de thé, et en charge sa Méjeane Peunault. Pratiquant avec joie l’auto-partage, il passe prendre Aristide vers la Bastille, et hop, cap sur le Cuvier.
Une heure plus tard, les voici à pied d’œuvre. Après quelques blocs et une pause casse—croûte méritée, Philémon et Aristide remontent dans la Méjeane pour aller faire un tour vers l’Isatis, où ils ont chacun un projet.
La nuit arrivant, ils remettent le cap sur Paris. Un dimanche soir, il faut s’y attendre, l’A6 est bouchée, ils mettront plus de deux heures à arriver.
Ah, la joie des journées à la campagne !
Faisons ensemble un rapide bilan tempo-écolo-financier de la journée de Philémon et Aristide. Ils ont parcouru avec la Méjeane de Philémon environ 150 Km, ce qui représente environ :
– 10 litres d’essence (soit environ 10 euros en diesel, 13 euros en essence)
– 200 g/km * 150 km = 30 kg de CO2
– 3 heures assis entre plastique et métal, à écouter Rire et Chansons (vaut mieux ca que les blagues belges d’Aristide…), pour environ 6 heures sur place.
– 32 euros d’amortissement de voiture
– un cocktail savoureux d’oxydes d’azote, de dioxyde de soufre, d’oxydes de carbones et diverses autres gâteries…
– une participation active au trafic parisien qui, aux dernières nouvelles, n’a pas vraiment besoin qu’on l’aide à grandir : l’ADEME précise que les transports sont responsables de 27% des rejets de gaz à effet de serre (35% du CO2), 70% des particules et 40% des oxydes d’azote. On ajoute à ça 80% du bruit (toujours selon l’ADEME).
Nous en avions déjà parlé, mais un petit rappel ne fait pas de mal : un hectare de forêt fixe environ 1,4 tonnes de CO2 par an. Or, la forêt de Fontainebleau couvre environ 28000 ha, elle fixe par conséquent environ 40000 tonnes de CO2 par an. Ca paraît beaucoup, hein ? Attendez voir…
40000 tonnes par an, ça nous laisse 110 tonnes par jour, soit ce qu’une voiture émet sur 65 000 km… ou ce que 4300 voitures émettent sur 15 km, la distance moyenne domicile-travail selon l’ADEME. Ce qui ne permet même pas, et de loin, à l’ensemble des Bellifontains d’aller travailler en voiture de manière soutenable.
Il faudra donc que notre cher Philémon trouve ailleurs le demi hectare nécessaire au traitement du CO2 généré par ses 2 séances mensuelles, la forêt de Fontainebleau étant déjà surchargée par les dépenses locales.
Philémon a plus d’un tour dans sa besace…
Notre Philémon, un fan de la première heure de cette chronique, a tout de suite compris où je voulais en venir, c’est donc gaillardement qu’il a pris la résolution de changer sa manière de faire, et qu’il se rend désormais à Bleau suivant le protocole suivant :De bon matin ce dimanche, Philémon a descendu son pad et ses sacoches contenant ses Ninja, un sandwich au Camembert de Normandie AOC et un thermos de chicorée, et le voilà parti sur son vélo vers la gare de Lyon. Il y retrouve Noémie, arrivée avec son vélo de Maisons-Laffitte par le RER A.
Ils embarquent tout ça dans le train de 8h22 direction la Gare de Fontainbleau (en pestant un peu contre la SNCF qui n’aide pas beaucoup les vélos), où ils arrivent 40 minutes plus tard. Parfois, ils descendent un peu avant, à la gare de Bois-le-Roi.
Allez hop, on y va, en route pour l’aventure !!
Pédalant joyeusement, pad sur le dos, par la Route du château, puis Route de la Gorge aux Néfliers, ils arrivent après 40 minutes au Cuvier, sans avoir croisé une voiture.
Après la pause casse-croûte, ils se disent que l’Isatis, c’est un peu loin, mais qu’Apremont n’est qu’à quelques coups de pédales. Ils y finissent la journée, puis rentrent par la grande descente de Route de la Gorge aux Néfliers.
A Fontainebleau, ils attendent 40 minutes le train (le temps de prendre une bière), mais rigolent bien en regardant les voitures coincées sur la route du retour.
Nouveau bilan de la journée à Bleau de Philémon avec cette nouvelle technique. Ignorons les changement d’habitudes alimentaires, que nous discuterons une prochaine fois, et le changement de partenaire, qui ne nous regarde pas :
– pas d’essence en consommation directe, l’énergie utilisée par le train est estimée à 1/10 de celle utilisée par la voiture ;
– 1h20 dans le train, dont 30 minutes de sieste, 40 minutes de discussion avec Noémie, et 10 minutes de silence, pendant lesquelles Philémon se demande si Noémie a mis un soutien-gorge aujourd’hui ;
– 1h20 de vélo sur des routes forestières bitumées, interdites aux voitures, et baptisées de noms charmants ;
– 12 euros par personne de billets de train (achetés par 10) ;
Voila pour les arguments « rationnels et mesurables ». On peut constater dès maintenant que, tant sur le plan écologique (réduction drastique des émissions, pollution sonore, etc.) que financier (21 euros par personne en voiture, 12 en train), la technique train + vélo se défend facilement. Y’en a qui me diront qu’aujourd’hui, les trains sont nucléaires, ce qui n’est pas faux, et pose évidemment d’autres problèmes. Ce sont des taquins). Au niveau des temps de transport, les valeurs sont comparables, mais les qualités sont différentes, tension nerveuse et fatigue, en particulier.Il n’y a pas que les chiffres, dans la vie !
Je me permets d’ajouter quelques autres éléments, plus subjectifs, en faveur de la combinaison train+vélo à Bleau: · vous arrivez sur les blocs avec déjà 30 à 40 minutes d’effort léger et général, ce qui constitue un excellent échauffement général.
- Avec un peu de chance, vous croiserez un faisan, un daim ou un sanglier, ou tout simplement quelques promeneurs qui vous diront spontanément bonjour (alors qu’en Méjeane, vous croisiez parfois un oiseau écrasé, ou un conducteur vous faisant spontanément un doigt)· Vous ne parcourez plus la forêt par ses grands axes, peu logiques, mais découvrez réellement sa géographie (et sa réelle beauté !). Vous vous émerveillez ainsi de découvrir que vous n’êtes pas obligés de traverser tout Barbizon pour aller du Cuvier à Apremont !· Vous pouvez désormais de bonne guerre maudire le bruit de la route qu’on entend de la forêt, puisque vous n’y avez pas contribué.
- Philémon a proposé à Noémie de regarder au passage s’il n’y aurait pas quelques châtaignes à griller pour ce soir. Il en a profité pour lui déclarer sa flamme sous un chêne centenaire, ce qui est plus la classe que le parking de la barrière de péage.
A propos de Philémon, il envie beaucoup ses amis qui habitent proche de la forêt (l’un à Fontainebleau même, l’autre à Melun), et qui eux, peuvent directement prendre le vélo pour aller grimper. L’un d’eux (Jack, il s’appelle), qui se rend 4 fois par semaine en forêt, a ainsi calculé qu’il économise 500 euros par an avec son vélo, malheureusement sans que sa technique de pied se soit améliorée…
Puis vinrent les Provinciaux…
Les Parisiens, c’est bien, mais il ne faudrait pas qu’il y en ait que pour eux. Etudions donc un exemple de provincial que j’ai là sous la main : moi. Si vous faites partie de ceux qui se sont bidonnés avec Julien Lepers le 21 novembre dernier, vous n’ignorez plus, hormis le fait que je suis lent à la détente (ah, fallait appuyer ?), que ma tanière se situe en Savoie. Et fort en géographie comme vous l’êtes, vous en concluez que près de 700 km me séparent du Bas-Cuvier. Comment diable vais-je m’y prendre ? Le suspense est à son comble. Dans mon cas particulier, le camp de base se trouve à Fontainebleau même, mais vous êtes grands, vous saurez adapter à votre des cas particulier. Admettons que je souhaite passer un week-end à Bleau, voici la procédure :
Quelques semaines avant mon séjour, je surfe sur le site Internet de la SNCF en chasse des promos et réserve aussi une place pour le vélo, en préférant le train de nuit (avec couchette), histoire de ne pas perdre une journée. Pour un simple week-end, je ne prends que le pad et deux sacoches, j’ai une remorque pour les séjours plus longs.
Arrivé de bonne heure à Austerlitz le samedi matin, je pédale jusqu’à la Gare de Lyon, de l’autre côté de la Seine, où je retrouve… Philémon, avec qui je reprends la technique typiquement parisienne susmentionnée. Le temps de passer à mon squatt du week-end avec les croissants, et nous voila partis pour la journée.
Le dimanche, comme le train du retour ne part que tard, j’ai toute la journée pour grimper, avant de retourner manger une pizza à Paris avec Philémon. Après une nuit dans le train, j’arrive tôt et peux partir travailler avec deux jours complets de grimpe dans les doigts.
Je ne vais pas vous faire l’injure de vous refaire un bilan écologique comparatif avec la version automobile du trip (deux fois 600 km en Clito Peunault), vous avez compris que c’est forcément positif. Regardons juste l’aspect financier et temporel :
- en voiture, je conduis 14 heures en deux jours. En train, j’ai fait deux nuits de 7 heures.
- Avec un peu de chance, le billet de train A/R (couchette + vélo) me coûte 100 euros. Le voyage en voiture (essence + autoroute) me coûte environ 180 euros, sans même compter l’usure de la voiture (environ 200 euros)
- En train, j’ai eu deux journées complètes sur place. En voiture, je dois repartir en milieu d’après-midi, ou bien rouler toute la nuit (bonjour la sécurité et le plaisir) pour être rentré le lundi matin.
Ce n’est PAS la bonne technique !!
Merci à www.cyclos-cyclotes.org
Et alors finalement ?
Vous l’aurez donc compris, que l’on soit Parisien ou Provincial, pas mal d’arguments pèsent en faveur de l’option Vélo + Train, qui se justifie entièrement pour aller faire un tour à Bleau.
Evidemment, cela ne marche pas pour 100% de la population (le réseau de train est ce qu’il est…), ni pour 100% du temps (février est plus austère qu’Avril), mais la question est-elle vraiment là ?
Chacun fait son choix, je me permets juste d’ajouter ceci : avant d’écrire cette chronique, je ne l’avais jamais fait « en vrai ». Par honnêteté, je me suis dit que tout de même, il fallait essayer, j’ai donc passé une semaine entière à Bleau sans voiture, exactement comme je vous l’ai décrit. Je m’attendais tout de même à galérer un peu, à devoir me raccrocher à mes convictions pour trouver toute la motivation nécessaire… Même pas !!! Je n’avais même pas espéré tant de plaisir et de facilité, avec quelques moments de pur bonheur, à pédaler tout seul dans les arbres sous le soleil du matin.
Réalisé sans trucage
Je vous connais, raleux du fond, vous allez dire que je ne suis pas objectif, que je dis ça pour vous convertir… C’est surestimer mon ambition ! Figurez-vous que j’ai la chance d’avoir trouvé un truc pour démultiplier mon plaisir lorsque je viens à Bleau, ce qui est déjà bien. Tout au plus tente-je de vous en informer, en ajoutant que c’est bon également pour l’environnement et le portefeuille.Après, vous êtes grands, et vous faites comme vous voulez !!
En pratique, t out est-il rose au Pays des Merveilles ?
Pour être complètement honnête, je me dois tout de même de mentionner quelques aspects qui, sans être forcément négatifs, peuvent être des freins. Je rajoute dans la liste quelques petits conseils pratiques :
- si vous êtes du genre à faire trois sites dans la journée, ça finit par faire beaucoup de vélo ! De là, vous avez deux options :
o soit vous restez un incorrigible zappeur, et avez tellement tout fait dans tous les sites qu’il vous faut effectivement vos trois secteurs par jour. Je dois alors vous avertir que vous aurez rapidement épuisé la forêt. Mais ce n’est pas grave, vous pourrez encore vous occuper en m’écrivant sur le forum que je dis des conneries, la voiture, c’est indispensable à Bleau, et d’ailleurs, pourquoi on se ferait chier alors que les américains, ils prennent l’avion pour aller grimper, hein…
o soit vous finissez par vous dire qu’on n’est pas si pressés, et qu’il y a assez à grimper dans la plupart des secteurs pour s’occuper une journée entière, et que le dernier bloc à la mode à l’autre bout de la forêt, il attendra la prochaine fois…
- la SNCF n’est pas ce qu’on fait de plus avant-gardiste en matière de transport de vélo (hormis les aventures classiques de grèves, retards, etc.) Impossible, par exemple, de réserver une place vélo par internet, et il n’y a guère que sur la brochure publicitaire qu’une jeune fille en tailleur charge un vélo avec le sourire. Dites-vous que ce n’est qu’un moment désagréable à passer (surtout le passage souterrain), et vous pouvez toujours m’écrire pour que je vous donne quelques trucs.
· Tous les secteurs ne sont pas également faciles d’accès. De Fontainebleau même, il vous faut 30 à 40 minutes pour accéder à l’ensemble des secteurs Cuvier / Apremont / Franchard. C’est moins pour les secteurs les plus proches (Saint Germain, Mont Ussy, Mont Aigu, etc.). Le plus long est l’accès aux Trois Pignons. Je n’ai jamais essayé les secteurs du sud (Elephant, Dame Jouanne, etc.), merci si vous avez des infos.
· Méfiez-vous des « routes » qui ne sont que de vagues chemins sableux (préférez celles en jaune sur la carte IGN), et respectez la réglementation appliquée aux cyclistes dans la forêt. D’une manière générale, le vélo est autorisé sur les voies de plus de 2,5 m de large. Beaucoup de marches d’approche s’en trouvent fort réduites, mais ne roulez pas hors des chemins (endommagement de la flore, érosion, etc.)) ; Les faux inconvénients ?
Voici quelques remarques qu’on m’a déjà faites, et ce que j’en pense…
v « Avec le pad, ça fait prise au vent, on n’avance pas » : la personne qui émet cet avis n’a, en général, jamais essayé… Ou alors tenté de maintenir le 50 de moyenne. Perso, après plus de 400 km le pad sur le dos, je n’ai jamais été perturbé. On va à Bleau, on ne fait pas le Tour de France (ce qui permet de conserver l’intégralité de ses testicules).
v « On va se faire voler le vélo » : C’est le même problème qu’en ville, sauf qu’en plus, les voleurs, à Bleau, se concentrent sur les parkings. Dès que vous rentrez un peu dans la forêt, que vous trouvez un arbre et que vous avez un antivol digne de ce nom, le risque n’existe quasi plus…
v « On arrive épuisés aux blocs, on ne peut plus grimper » : rien ne vous oblige à bourriner. On fait du vélo « transport », pas le tour de France. Les temps que je vous donne, indicatifs, sont des temps « promenade ». Vous arrivez au contraire juste chaud sur les blocs !
v « il n’y a jamais de trains aux bonnes heures » : A priori, il y en a au moins un toutes les heures, de 6hà 22h. Je n’ai jamais rencontré de problème de ce côté. Certains trains s’arrêtent même au milieu de la forêt le dimanche. Je n’ai jamais expérimenté.
v « plus moyen de faire (comme Jerry Moffat dans The Real Thing) des ronds en dérapant sur le sable en bagnole » : c’est vrai, mais rassurez-vous, c’est aussi très joli en vélo, et vous pouvez imiter de façon saisissante le bruit d’un V8 avec la bouche.
Pour aller plus loin…
– Munissez-vous de l’excellente carte IGN au 25000 de la forêt, et privilégiez les routes notées en jaune.
– L’office de Tourisme de Fontainebleau (près du château) publie une carte avec 3 itinéraires VTC dans la forêt. Attention, certaines portions sont très sableuses !
– Pour les conseils vélo + train, les deux sites incontournables sontwww.fubicy.org/train et www.velo.sncf.com. L’un est plus objectif que l’autre !
– Nos amis suisses sont beaucoup plus avancés que nous en la matière. Allez donc faire un tour avec votre vélo à Cresciano (gare de Cresciano ou Osogna), ou encore dans le Jura Bâlois. Les topos fournissent toujours les accès en vélo ou avec les transports en commun, et les trains sont particulièrement adaptés (www.cff.ch). Le réseau est très dense (http://mct.sbb.ch/mct/fr/veloselbstverlad-uebersichtskarte.pdf)
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