Texte : Rascal et Jean-Pierre Banville
Introduction par Rascal
C’est une chronique un peu particulière que Zebloc vous livre aujourd’hui. Car figurez-vous qu’après quelques mois de considérations parfois fort discutées (le forum en a subi une attaque, c’est pour dire !) sur les grimpeurs et leur rapport à l’environnement, Jean-Pierre Banville, célèbre chroniqueur grimpesque, m’a proposé de nous livrer ensemble à une expérience… Un peu comme on refait parfois le monde, posés à une terrasse, les doigts encore blancs de la cake de la journée serrant un demi bien frais, il m’a demandé une photo de la grimpe et de la montagne en 2031, dans 25 ans. Sans nous concerter au préalable, chacun de nous a ainsi brossé un apperçu de ce qui nous a semblé un avenir possible pour cette part de notre vie. Ce sont ces deux textes que vous trouverez aujourd’hui, et que vous pourrez aussi croiser chez différents partenaires du projet.
Il s’agit bien d’un projet, car là où l’idée de Jean-Pierre touche au grandiose (ne chipotons pas, on est entre nous), c’est que nous nous engageons, pour les 25 « 18 mars » prochains (le fils de Jean-Pierre est né un 18 mars) à revenir sur ces textes, à vérifier à quel point notre cheminement nous en rapproche ou nous en éloigne, et à quel point d’éventuelles prises de consciences ou d’autres facteurs peuvent infléchir le cours de l’histoire. Vous en prenez pour 25 ans de « Rascal et Jean-Pierre dans l’avenir » ! Il y en a que la simple idée fera frissonner…
Voila, nous vous livrons donc aujourd’hui la première de 25 chroniques annuelles, en souhaitant qu’en 2031, nous puissions toujours refaire le monde avec les doigts blancs et des envies de rocher plein la tête…
Introduction par Jean-Pierre
Une Longue Marche de plus dimanche dernier et Mao n’était pas là pour nous servir de Grand Timonier. Heureusement, car fêlés comme nous le sommes, nous serions maintenant en camp de rééducation…
Tous ces pas pour un petit pilier vierge d’une dizaine de mètres, un aggloméré de flûtes qui faisait tellement peur à voir que nous avons décidé de poser une moulinette. Ce qui est heureux : Dany s’est élancé avec sa vigueur habituelle et sa légèreté naturelle… au milieu du pilier, sous l’effet d’un coup de piolet, le bloc de glace fend totalement sur sa largeur et la partie du bas baisse de quelques centimètres.
Il s’est tourné vers moi.
-« Tu veux l’essayer, le pilier? »
Ben voyons! Mon poids cause des irrégularités gravitationnelles alors si je grimpe ce bout de froidure, il va me tomber dans la face. La quelque dizaine de tonnes au complet…
Je me suis consolé sur une coulée toute proche puis nous sommes redescendu vers le véhicule, notre sherpani d’office portant de bonne grâce tout notre matériel.
L’histoire se répète pourtant : une de mes lames est endommagée suite à un coup dans une glace trop mince. Le matériel de glace, c’est toujours brisé! Et on paie pour la revivre, l’histoire…
En toute honnêteté, je ne crois pas que l’histoire se répète. Je peux croire que la nature humaine est excitée par les mêmes stimuli, bons ou mauvais; je peux croire que les mêmes causes donnent en général les mêmes effets; j’arrive à croire à l’aléatoire comme je peux croire à notre ultime pouvoir de décision.
Et si l’histoire ne se répète pas, pouvons-nous la prédire? Avec plus de précision que la météo? Que les avalanches? La futurologie comme science exacte? Et si on essayait de prédire l’avenir du petit monde de la Montagne? Disons pour les prochaines 25 années… comme j’ai de la misère à prédire ce que je vais manger demain soir, je ne devrais pas me tromper tellement plus en 25 ans!
Bon: disons que je couche sur papier mes prédictions. Je demande à un observateur impartial de faire la même chose, un chroniqueur, tout aussi fêlé que moi, qui incarnera la jeunesse. D’accord… difficile de trouver un impartial donc on va en prendre un partial. Embrigadons ce jeune Rascal qui réussit à faire grincer bien des dents et des dentiers: personne ne va croire que nous pouvons être sur la même longueur d’onde! Puis, à chaque année, le 18 mars, on va ressortir le texte et le confronter aux évènements le temps de six cent mots d’analyse. On y ajoutera les décès, les premières marquantes, les fermetures et les controverses. Durant vingt cinq ans… et oui : aux grands regrets de mes détracteurs, je compte bien grimper durant les prochains vingt cinq ans.
Projet de longue haleine car nous vivons dans un immédiat continuel alimenté par la presse et le vide de la mémoire collective. Car notre milieu se renouvelle plus souvent qu’un étalage de boulangerie et il est difficile de trouver, au pied des voies ou au refuge, un individu ayant un quelconque souvenir de Bardonnechia, de Gary Hemmings, du compresseur en haut de sa montagne, de monsieur Pierre Allain. Car nous pensons toujours avoir tout inventé, être les premiers à vivre cette passion dévorante…
Vingt cinq années de chroniques additionnées des faits marquants de ces 25 années qui vont former l’état des lieux et l’ultime vérification de mes prédictions. Une première en littérature de montagne. A moins que Rascal ait raison…
A dans vingt cinq ans… Deus lo voult!
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